Liberté de la Presse: Liberté de la presse en Mauritanie : encore un effort !
La presse mauritanienne connaît une liberté de ton
inouïe depuis le renversement du président Taya en août 2005. Les tabous se
sont considérablement estompés et la censure n'est presque plus qu'un mauvais
souvenir. Toutefois, s'ils reviennent de loin, les journauxmauritaniens doivent encore parcourir un long
chemin. C'est l'une des conclusions du rapport élaboré par l'organisation des
droits de l'homme Article 19, la Campagne mondiale pour la
liberté d'expression en collaboration avec l'Association Mauritanienne de défense des Droits de
l'Homme (AMDH). Publié fin juin, ce document dresse l'état des lieux de la
liberté d'expression dans un pays où après deux décennies d'oppression, la
presse tente de surmonter sa fragilité et de venir à bout de nombreuses
entraves.
Interrogée par APN, Hindou Mint Ainina, rédactrice
en chef du Calame, estime que « le plus gros défi aujourd'hui
est de survivre en conservant cette liberté fragile, qui peut être aliénée du
fait des pressions financières ou conservatrices ». Son journal, qui
détient le triste record de titre le plus censuré du pays, a vu le jour en 1993
en plein « printemps du désert ». Une brève saison qui dure de 1991,
année de l'instauration du multipartisme et de l'adoption d'une ordonnance sur
la liberté de la presse, à 1994. C'est à cette époque que paraissent les
premières publications indépendantes. La liberté est alors toute relative :
les ciseaux d'Anastasie ne sont que rarement utilisés et les saisies visent
notamment le mensuel Mauritanie Demain et Mauritanie Hebdo. Au
lendemain de ce printemps, la presse connaît ses « années de braise »
au cours desquelles les services de Ould Taya, président déchu après le
coup d'état du 3 août 2005, distribueront quelque 600 récépissés à des journaux.
Leur objectif ? Banaliser la presse indépendante qu'ils ne lésineront ni à
censurer (plus de 100 cas sont dénoncés) ni à étouffer en mettant ceux qui y
collaborent derrière les barreaux.
Depuis août 2005, le contexte est indéniablement plus
favorable et plusieurs mesures juridiques prises depuis vont dans le sens du
renforcement de la liberté d'expression. La restrictive loi adoptée en juillet
1991 a été remplacée par un nouveau texte qui abolit la censure et dépénalise les
délits de presse. Ainsi l'article 9 de la nouvelle législation stipule que
« Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation
préalable et sans dépôt de cautionnement, après la déclaration prescrite par
l'article 11... » alors que par le passé les rédacteurs en chef
devaient soumettre leurs articles à la direction
des libertés publiques et attendre un récépissé de publication avant de mettre
leur édition sous presse. L'article 31 reconnaît la contribution des
média dans la mise en oeuvre du droit de tous à l'information et consacre l'aide
de l'Etat à la presse.
Malgré ces avancées certaines, ce nouvel arsenal
juridique est loin d'être parfait. L'article 21, par exemple, fait planer
l'épée de Damoclès sur les journaux étrangers qui peuvent être frappés d'une
interdiction ou d'une lourde amende s'ils publient des articles
« susceptibles de porter atteinte à l'Islam ou au crédit de l'Etat, à
nuire à l'intérêt général, à compromettre l'ordre et la sécurité
publics ». Les rédacteurs du rapport d'Article 19 attirent également
l'attention sur les articles 35, 44 et 45 qui garantissent au président de la
république, aux chefs d'état étrangers et aux diplomates en poste en
Mauritanie, des protections contraires aux principes internationaux. Ils
pointent aussi du doigt l'article 70 qui n'est qu'une quasi-copie de l'article
11 de la loi abolie et consacre le retour à la censure.
Autre innovation non dépourvue de revers : la Haute autorité
de la presse et de l'audiovisuel (HAPA), instance de régulation qui en principe
garantit l'autonomie et l'impartialité des moyens publics d'information et de
communication. Sauf que cet organe est rattaché à la primature... ce qui jette un
sacré doute sur l'indépendance de cette instance dont trois des membres, dont
le président, sont nommés par le chef de l'Etat.
Bien que lifté, le nouveau cadre juridique reste une entrave à l'émergence d'une presse mauritanienne libre. En outre, d'autres obstacles socio-économiques freinent le développement du secteur. Les journaux mauritaniens coûtent cher ... l'équivalent du salaire journalier moyen. La distribution est embryonnaire : les tirages oscillent entre 2000 et 2500 exemplaires. Et cerise sur le gâteau, ces titres sont l'oeuvre de journalistes mal formés qui ignorent parfois les règles élémentaires du journalisme. Autant de défis qui incitent Hindou Mint Ainina à prédire un avenir sombre pour la presse écrite de son pays. « Les journaux seront rapidement submergés par les médias audiovisuels, plus accessibles, plus faciles et plus 'modernes' dans des espaces où l'analphabétisme des populations n'encourage pas le développement de la presse écrite », a-t-elle confiée à APN.